Sunday, August 05, 2007

Entrée en Gare de Gavgelija

La Commission européenne dispose de centres d’examens dans les plus grandes villes de l’Union européenne. Inscrite pour passer un concours le 10 juillet à 10 heures, je dois me rendre à Thessalonique. Voyager entre la Macédoine ex-yougoslave et la Macédoine grecque par les transports en commun est une gageure, alors que la distance qui sépare Skopje de la deuxième ville grecque est inférieure à 300 kilomètres : encore une absurdité des conflits politiques balkaniques. Je choisis de prendre le train « Express » qui part quotidiennement de Skopje à six heures du matin. Le trajet suit le lit du Vardar, de Skopje à Gevgelija. Passée la frontière grecque, la rivière change de nom, devient l’Axios, puis se jette dans le golfe Thermaïque à Thessalonique.

Le vieux train attend patiemment sur le quai poussiéreux de la gare. Le soleil vient de se lever et le ciel est parsemé de nuages blancs, jaunes et roses. Je m’installe sur un siège en velours bleu clair. La propreté du compartiment contraste avec l’extérieur du wagon ; les fenêtres à guillotine sont plus translucides que transparentes. Le train démarre, le bruit des machines couvre à peine les voix de mes compagnons de voyage, des pêcheurs qui serrent contre eux les étuis de leurs cannes. Skopje disparait bien vite. Les rails traversent des vallées inaccessibles par la route : la nature n’en est que plus belle et sauvage. Je m’endors quelques minutes.

A mon réveil, je suis la seule passagère. J’observe par la fenêtre les paysans qui arrêtent leur labeur pour regarder le train passer. Un cheval s’ébroue au loin dans son corral, un autre tire un soc. Plusieurs gares minuscules défilent. Le temps a rongé les planches de bois de leurs façades et déformé leurs toits de tuiles. Elles ressemblent à celles du circuit ferroviaire électrique avec lequel mon frère et moi jouions pendant notre enfance, et qui avait sans doute appartenu à mon père et ses frères auparavant.

Les contrôleurs me signalent que ce train s’arrête à Gevgelija. Nous arrivons à ce bourg, le dernier avant la frontière, vers neuf heures et quart. La gare est légèrement plus grande que les précédentes, mais elle –aussi- me porte à croire que ce voyage ne me fait pas seulement traverser l’espace, mais aussi le temps. Elle possède deux frontons jumeaux d’un étage, soutenus par des colonnes roses et couverts par un toit ondulant en bois et tuiles rouges. Les murs sont d’une couleur jaune pissenlit et les portes des différents bureaux du rez-de-chaussée sont couvertes de peinture blanche écaillée.



Le personnel de la gare s’ intrigue de ma présence sur le quai et fait signe de me diriger vers la salle d’attente. Dans la fraicheur relative de la pièce, une douzaine de personnes patientent sur des bancs en bois. Sur le lambris des murs, des générations de voyageurs ont gravé des messages. L’un d’entre eux « red hot chili peppers » indique peut-être qu’un gevgelien s’est rendu au concert du groupe à Belgrade la semaine dernière. Au fond, un guichet aux vitres ébréchées et un panneau sur lequel « biletarnica, guichet de distribution de billet » est écrit en macédonien et en français. La salle se vide à l’arrivée du train pour Skopje. L’agent des renseignements lit son journal et fait bouillir un café turc. De l’autre côté de la gare, des hommes se rafraichissent à l’ombre d’un plan de vigne.



Mon train est en retard : il aurait dû arriver à Thessalonique à onze heures et demi, heure grecque, soit dix heures et demi heure ex-yougoslave. Il est déjà dix heures et quart. Au mur, une image de Zagreb, du temps de la fédération et une photographie noir et blanc de la gare, encore plus vieille : la gare n’a peut-être pas changé depuis la fin de la domination ottomane ! Alors, Thessalonique, qui se nommait encore Salonique, voyait naître Kemal Atatürk, qui allait faire ses études à Manastir (Bitola), aujourd’hui en Macédoine ex-yougoslave, avant de devenir le premier président de la République turque.

En attendant, j’observe le linoléum ravagé du plancher et les nids d’hirondelles fixés au néon du plafond.

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